La conférence de l’OMC de Bali L’ÉLAN BRISÉ DE LA MONDIALISATION, par François Leclerc

Billet invité

Déjà surnommé « Bali light » ou « Bali décaféiné » à peine adopté, un mini-cycle de Doha de la dernière chance a été signé par les 159 ministres représentant les États membres à la conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de Bali, après des mois de négociations tendues à Genève. Il était moins une, c’était cela ou désespérer, selon les négociateurs : un premier accord – aussi réduit soit-il – devait à tout prix être adopté, pas moins de douze ans après le lancement du « cycle de Doha », qui faisait suite à « l’Uruguay round » conclu en 1994, suite auquel l’OMC a été crée. La marche triomphale vers la libéralisation du commerce international piétine, l’application de ses normes n’avance pas et ses perspectives idylliques ne se concrétisent pas.

La multiplication des accords de libre-échange multilatéraux entre pays ou au sein des régions du monde, tels les partenariats transpacifique ou transatlantique, avaient fini par faire croire que toute avancée globale était impossible et qu’il fallait s’y prendre autrement, quatre conférences successives n’y étant pas parvenu au fil des années. Mais, à y regarder de plus près, le concert de congratulations et d’auto-satisfactions auquel l’annonce de l’accord de Bali a donné lieu est loin d’être justifié, car il ne concerne que 10 % du programme pour le développement lancé initialement à Doha (PPD). Tout repose sur l’espoir volontariste qu’une dynamique irrésistible soit relancée, afin de ne pas reconnaître les illusions qui se sont envolées.

L’essentiel du paquet adopté porte sur l’agriculture et les subventions à celle-ci des pays émergents, l’Inde en premier lieu, qui vient de lancer au nom de la « sécurité alimentaire » un programme destiné à offrir à 800 millions d’Indiens pauvres des denrées alimentaires de base à des prix accessibles. Selon les règles de l’OMC, de telles pratiques sont assimilables au dumping, faussant la concurrence, et sont donc strictement limitées. Pourtant, selon l’OCDE, les subventions agricoles au sein des pays développés sont passées de 350 milliards de dollars en 1996 à 406 milliards en 2011. Cherchez l’erreur ! Intitulé « clause de paix » par le gouvernement américain, l’accord finalement trouvé se contente de se donner quatre ans… pour trouver un accord, l’Inde s’engageant entre-temps à ne pas exporter ses produits alimentaires qu’elle va continuer à subventionner ! Le « paquet de Bali » porte également sur la « facilitation des échanges », un ensemble de mesures de standardisation et de simplification des procédures douanières destinées à abaisser le coût des opérations commerciales internationales, ainsi sur certaines exemptions de droits de douane pour les exportations des pays les moins avancés. Rien qui ne change la face du monde.

Le temps n’est plus où les dirigeants de l’OMC pouvaient exalter les principes gagnants-gagnants de libre concurrence internationale et d’abaissement des barrières douanières. Dans la pratique, ceux-ci s’inscrivent en contradiction avec la satisfaction des besoins élémentaires et ont suscité dans les pays émergés un développement s’appuyant sur les exportations, sous la bannière du développement des échanges commerciaux internationaux. Ces derniers ne sont pas le moteur annoncé du bien-être, mais au contraire générateurs de grands déséquilibres économiques et sociaux. Et la théorie du ruissellement, qui veut que la richesse des nantis redescende du sommet vers la base, est contredite par la concentration universelle de la richesse par les 1 %. Le développement des classes moyennes des pays émergés – ce marché de rêve pour les compagnies transnationales – est quant à lui tributaire des aléas de la croissance et s’accompagne du délitement par le bas de celle des pays avancés. Le constat s’impose : en dix-huit ans d’existence, l’OMC n’est pas parvenu à concrétiser la vision qui a présidé à sa création et ce n’est pas la conférence de Bali qui, telle une hirondelle, va faire le printemps.

Il faut avoir la foi du charbonnier pour expliquer que « pour la première fois de son histoire, l’OMC a tenu ses promesses », comme l’a déclaré son directeur général Roberto Azevêdo, qui a endossé des calculs époustouflants effectués sur un coin de table selon lesquels 1.000 milliards de dollars de richesse vont être créés à la suite du « paquet de Bali », ainsi que 20 millions d’emplois… Karel De Gucht, le commissaire européen au commerce, a eu plus modestement le mot de la fin : « nous avons sauvé l’OMC », comme si c’était une fin en soi !

D’autres canaux vont être privilégiés : les partenariats transpacifique et transatlantique ont vocation à avancer plus vite que la lourde machine OMC. Dans ces deux cadres dont la Chine est exclue mais où les États-Unis pèsent de tout leur poids, les débats vont porter autant sur les normes techniques que les barrières douanières. Ils vont prendre également en compte l’organisation mondialisée des entreprises transnationales, où la localisation de la valeur est optimisée comme l’est la fiscalité.